L'IEF pour tous ? C'est pas parce que j'y ai droit que c'est fait pour moi !


L'Instruction En Famille (IEF) est de plus en plus souvent évoquée dans l'actualité au travers de reportages toujours trop courts ou bien trop orientés. Si on ne peut que se réjouir que ce mode d'instruction soit mieux connu, est-ce pour autant une solution universelle ? 
Le Collectif a lancé en son sein un brainstorming, nourri de toutes les expériences personnelles et les convictions de ses membres. Sans se laisser emporter par l'esprit du moment ni céder à la mode, peut-on recommander à n'importe quelle famille d'instruire ses enfants à la maison ? Toute personne peut-elle faire l'IEF ? Peut-on conseiller l'IEF quelle que soit la situation ? Tous les parents peuvent-ils être pédagogues ? L'IEF est-elle le summum de la bienveillance et de la parentalité positive ? 

Avant de se lancer dans l'aventure, il faut garder à l'esprit quelques points indispensables pour mener à bien ce projet. Toutes les familles sont différentes, certaines ont des qualités que d'autres n'ont pas, et réciproquement. La réponse première du Collectif serait donc "Prend tes pincettes et ta jugeotte avant de prodiguer quelque conseil que ce soit." On s'explique.

1) S'informer sur les obligations légales
En tant que citoyen, il faudra se conformer aux obligations légales liées au choix de l'IEF : déclarations et inspections. Ne pas se considérer comme faisant partie intégrante de la population, ayant sa part de responsabilités dans la communauté, c'est déjà enferrer son gamin dans un quasi-isolement marginal. Le 11 avril 2017 l'a prouvé : il est possible de faire comprendre au Ministère de l'Education Nationale nos besoins réels en matière de respect et d'égalité de traitement. Cela demandera encore du temps, du travail, de la finesse dans la négociation. En matière d'instruction en famille, l'opposition systématique et la désobéissance civile portée aux nues comme une doctrine n'emportent absolument pas le suffrage du Collectif, même de la part de ses membres les plus "en marge". L'opposition à l'institution scolaire et à d'autres (!) ne peut être l'alpha et l'omega de notre engagement en IEF même si depuis longtemps dans l'IEF-sphère, cette doxa étouffe les opinions mesurées et si l'on s'en tient aux faits, elle ne donne pas de résultats... 

2) Cerner les vraies raisons de ses choix
Choisir l'IEF, c'est savoir pourquoi on refuse de mettre son enfant à l'école, pourquoi on veut quitter le système classique. C'est aussi rester vigilant quant aux influences car il y a ce phénomène de mode, cet engouement actuel, qui pousse les gens sur un terrain qu'en réalité, ils ne maîtrisent pas. L'IEF c'est bien plus qu'aider un enfant à faire ses devoirs comme à l'école, c'est bien plus que laisser ses enfants pousser tous seuls.
Le bien de chaque enfant est au centre de la réflexion, non pas les envies d'adultes. Pour diverses raisons, certains enfants seront mieux à l'école, pour une durée plus ou moins longue. On peut se lancer dans l'IEF parce que l'enfant déteste l'école (rythmes, entourage, pédagogie, on connait les raisons possibles à cette aversion ou ces difficultés insurmontables). En revanche, opter pour l'IEF "simplement" parce que soi-même, on a détesté l'école n'est certainement pas une saine motivation. Évitons de le conseiller à quelqu'un qui le fait clairement dans un esprit de revanche ou par peur, car une sacrée dose de foi* positive et de confiance en soi sont nécessaires pour tenter l'aventure. Cependant, une saine rébellion contre l'Education Nationale et ses programmes, et non pas une haine de l'école, peut être notre motivation première dans notre choix de l'IEF mais elle ne doit rester qu'un point de départ.

Il faut le faire pour l'enfant, pour sa construction, pour une autre conception de l'humain. Évitons de la même façon de pousser dans l'instruction en famille quelqu'un de trop idéologue -que ce soit une idéologie en alternatives, en religion, ou tout ce que vous voudrez- choisir de conseiller l'IEF à un idéologue, c'est ouvrir la porte à des ghettos.
Une fois le choix fait, s'il convient de persévérer dans les premiers mois, le temps que chacun trouve sa place et son rythme, il faudra aussi savoir remettre en question la décision initiale. Un enfant qui retourne à l'école après l'IEF, ce n'est pas un échec !

3) Les finances
C'est le sujet qui a soulevé le plus de questions au sein du Collectif. Nous venons d'horizons si divers que tomber d'accord sur un consensus "à quels sous conseiller ou pas l'ief" nous a été impossible. En revanche, nos expériences cumulées nous amènent à pouvoir exprimer des avertissements sérieux aux familles qui voudraient se lancer. 
S'il n'est pas nécessaire d'avoir des revenus très élevés pour instruire ses enfants, si on peut trouver des outils d'apprentissages à petit prix, il faut tout de même, dans la plupart des situations, pouvoir se passer du salaire du parent-instructeur. 
Choisir l'IEF, c'est faire des choix, c'est donc savoir renoncer à certaines choses, surtout avec de tout petits salaires : le lieu d'habitation et le coût de la vie local sont des facteurs qu'il faut donc prendre en compte. 
Peut-on alors conseiller l'IEF à un parent solo avec une activité professionnelle ? Nous exprimons de grosses réserves s'il n'est pas prêt à mettre de la rigueur et de la routine dans son quotidien, et à y intégrer la réalité matérielle. 
Il y a de nombreuses limites à l'IEF, les moyens en sont une. Il ne saurait y avoir un curseur universel "moyens" qui déciderait de qui peut et qui ne peut pas en pointant un revenu défini. Mais la limite basse existe pourtant : celle de la sécurité et du bon développement de l'enfant
Non, on ne peut pas laisser son enfant seul toute la journée avec ses cahiers pendant qu'on va travailler. Non, on ne peut pas considérer que l'unschooling est le compromis idéal entre exercer une activité professionnelle et instruction en famille, s'il s'agit finalement de laisser les capacités intellectuelles du gamin en friche. Non, il n'est pas possible de contourner cet obstacle "sous" en négligeant l'instruction de l'enfant. 
Un budget (ou un non-budget remplacé par une qualification élevée en système D) géré correctement est essentiel en IEF.  Mais attention, chaque question logistique va prendre son comptant sur le temps disponible pour son enfant!


Après ces préoccupations, somme toute, assez terre à terre: la loi, les sous, la raison; intéressons-nous à deux autres facteurs nécessaires dans l'instruction de l'enfant. 


4) L'environnement
Des enfants instruits en famille signifie des enfants qui passeront une bonne partie de leur temps chez eux. il faut vraiment être conscient qu'on est très souvent seul(e) avec soi-même et ses enfants qui, même s'ils sont nombreux, ne sont pas des adultes. Cela nécessite donc un aménagement judicieux de l'espace à vivre aussi petit qu'il soit -on peut parfaitement apprendre à écrire dans la cuisine, mais coincé entre une boîte de conserve et une râpe à fromage, ça devient difficile !- et la possibilité d'aller jouer dehors, tout simplement. Il faudra aussi sûrement accepter de voir la maison un peu moins impeccable que lorsque les enfants se défoulent dans la cour de récréation !

Il faut également être conscient que l’enfant a besoin d’autres choses que le seul tête à tête avec le parent-instructeur. Il est connu qu’à un certain âge il réclame -parce qu'il en a besoin- de faire sa vie à lui, au moins ponctuellement. Il faut donc veiller à nourrir ce besoin par un environnement affectif riche, passant notamment par un cercle d’amis. Ce cercle est souvent une ancre pour son développement. De ce fait, il peut s'avérer inopportun de coupler un déménagement éloigné ou un grand changement de vie et un début d'IEF.


Quant à l'environnement culturel, les parents auront à cœur de proposer à leurs enfants découvertes artistiques ou musicales, lectures variées et nombreuses... et cela est plus facile si les parents ont eux-même un bagage culturel solide et/ou l'envie de continuer à s'instruire ! 

Nous, les parents, sommes souvent, les principaux référents des enfants et il nous faut vraiment donner l'exemple. Il nous apparaîtrait irresponsable de conseiller l'IEF à une famille qui a un bagage culturel par évidence trop restreint et dont ne pas scolariser les enfants signifie clairement leur couper les ailes.

De même, parce que nous sommes premiers référents, nous devons veiller à ne pas plaquer nos raisonnements et aspirations d'adultes sur nos enfants. Ce n'est pas parce qu'un sujet, une matière, un domaine, un manuel, un cours ne nous intéresse pas, nous ennuie, que l'enfant devra en faire l'impasse.

5) la motivation et la rigueur
L'IEF, c'est un grand espace de liberté... qui peut être profitable mais qui exige d'être bien utilisée.
Quelque que soit le mode d'IEF choisi (formel ou informel), il nécessite une grande présence auprès de l'enfant, pour suivre ses progrès, l'aiguiller, l'encourager à avancer ou à approfondir. Vous serez seul ou en couple avec votre enfant, seuls responsables de son instruction, c'est une grande responsabilité.
Certes il y aura beaucoup de journées de joie, mais il y aura aussi des matins où personne n'aura envie de travailler, où le petit dernier aura mal dormi (et donc les parents aussi), où l'un aura perdu son cahier et l'autre son stylo. Il vous faudra pourtant vous lever et garder le cap dans les difficultés. Pour cela, avoir bien réfléchi aux moyens à mettre en oeuvre, les adapter à chacun des enfants. 


Si l'IEF est un espace de liberté retrouvé face au dogmatisme et à la rigidité scolaire, si avant d'être une question de budget, c'est une question de motivation, il faut garder en tête que c'est un mouvement vivant, qui suppose aussi de se dire, "oui peut-être je vais scolariser ou rescolariser si c'est pour le bien de mon enfant". L'IEF est une responsabilité qui ne se prend pas à la légère d'autant plus que, hormis quelques cas particuliers, bien souvent nous avons le choix.

Les différents points développés ont été évoqués pour vous inviter à prendre le temps de la réflexion avant de faire le choix de l'instruction en famille ; choix qui doit se faire dans l'intérêt de l'enfant et non par effet de mode.

Le Collectif ne peut que conseiller aux parents de ne pas s'oublier dans l'IEF. Leur bien-être est un moteur dans la construction de la personnalité de leur enfant. Le sujet prend toute son importance quand on regarde le phénomène grandissant du burn-out, nous y reviendrons dans une prochaine gazette.


*ici le terme foi est à prendre au sens large et non religieux


Gazette rédigée collectivement par les membre du Collectif 

Commentaires

tiphaine a dit…
Bravo! Très bon article. Je partage tout à fait.
ça laisse quand même de la marge pour que chacun puisse considérer s'il se sent de se lancer dans l'aventure. Pour moi le plus important est de se dire que le retour à l'école n'est jamais un échec. Mais aussi au lieu de penser "pourquoi l'IEF?" c'est intéressant aussi de se demander "pourquoi PAS l'iEF? et surtout pourquoi l'école?"
J'ai commencé par mettre mes enfants en maternelle, comme tout le monde, sans me poser de questions.. ça vaut le coup de prendre le temps d'y réfléchir, dans un sens comme dans l'autre.